Quand on publie un texte, il est facile de se prendre la tête sur plein de détails. Qu’il s’agisse de la véracité des informations transmises, de la possibilité d’offenser le lecteur avec ses opinions, ou juste de la tournure des phrases et de l’orthographe, il y a matière à se casser le crâne. 

Très franchement, en écrivant un JDR et pas un essai politique, je me croyais à l’abri de ces questions. Mais en fait, c’est impossible d’en faire abstraction.
Au fil de l’écriture, je me suis posé des problèmes que je n’aurais jamais imaginés. Et ça a abouti à des choix plus ou moins discutables, que je vais tranquillement expliquer dans cet article. 

Sujets sensibles

Dans Carnival of Time, on a des races (et non des peuples ou des ethnies). On a aussi un choix binaire de sexe (plutôt que de genre). Et dans tout le manuel, les joueurs et le MJ sont constamment référés au masculin, sans usage d’écriture inclusive.

Globalement, je n’ai pas fait d’effort particulier pour rendre ce JDR progressiste.
Certains y verront de la discrimination ou de la paresse, j’en suis conscient. Mais mes maîtres mots étaient plutôt fidélité et neutralité. En effet, quand je ne me base pas sur les choix du jeu vidéo original, j’essaye – sur ce genre de question – de suivre la norme de notre époque. Tout bêtement.

Réponds si tu l’oses… Choisis parmi ces 3 réponses. Quelle est la race de Mikau ?

L’extrait ci-dessus est tiré de la traduction française officielle de Zelda: Majora’s Mask. Et comme vous pouvez le voir, c’est le mot race qui a été choisi. 

Étant donné que c’est également le terme employé classiquement dans des JDR comme Donjons & Dragons, il est le plus à même d’être bien compris et interprété par les rôlistes. 
Il n’y a donc même pas eu débat. Évidemment que Carnival Of Time devait également parler de races.

Et ma position est la même pour tout ce qui est écriture inclusive.
Je ne m’en embarrasse pas car mes références principales, qui sont très vieille école, n’en font pas usage. Moderniser Carnival of Time sur ce point ferait de moi parti prenant, et c’est tout ce que je souhaite éviter. Laissez-moi être lâche.

Problèmes de coeurs

Normalement, en bon français, on devrait écrire cœur avec le caractère œ. Mais la localisation française de Zelda: Majora’s Mask avait le bon goût d’ignorer ce détail, et d’écrire coeur. J’ai donc suivi le mouvement.

Ton coeur est fort et bon, rempli de compassion pour tes frères.

Par contre, il y a une ambiguïté propre au jeu vidéo que je n’ai pas voulu reproduire dans le JDR. Pour vous, un quart de coeur, est-ce que c’est ce qu’il y a au bout de cette barre de santé ? 

Ou bien c’est ce fragment-là, qui peut s’assembler à d’autres fragments pour former un réceptacle ? 

La série Zelda confond un peu les usages, ici, malheureusement. Et ça, quand on écrit un manuel de règles dont la clarté doit rester la priorité, ça n’est pas idéal.
L’idée est d’éviter qu’un néophyte complet lise le manuel et mélange toutes les notions.

Je me suis donc autorisé, ici, à dévier du jeu original, pour distinguer :

  • les PV, qui peuplent la barre de santé. Même si 4 d’entre eux forment un coeur, on ne peut pas pour autant les appeler quarts de coeur. 
  • les fragments, qui s’assemblent pour former des réceptacles. Selon le nombre de fragments à récupérer, là, oui, il sera question de cinquièmes, quarts ou tiers de coeur. 

Majuscules et accords

Quiz pour les fans de la première heure ! 
Les personnages ci-dessus sont… 

  • A : des Gerudo
  • B : des Gerudos
  • C : des gerudo
  • D : des gerudos

Pas facile, hin ? 
Le terme Gerudo étant étranger, son accord en langue française est forcément assez arbitraire. C’est donc la traduction des épisodes sur Nintendo 64 qui m’a, encore une fois, donné le la. 

On dit que le destrier de Ganondorf est un étalon dressé par les Gerudos.

La bonne réponse était donc la B !

Et de la même manière, on dit les Zoras, les Mojos, les Gorons ou les Sheikahs
Donc oui, ça peut faire bizarre à la lecture, mais la norme est de conserver la majuscule – comme si on avait à faire à un nom propre – mais d’accorder tout de même en nombre. 

Cependant, il faut savoir que ce choix de localisation n’est pas constant au fil des épisodes.
Typiquement, dans Zelda: Wind Waker, on écrit les Piaf et les Korogu, sans accord en nombre. Et parfois, dans Zelda: Oracle of Seasons, subrosien est employé sans majuscule. 

Bref, il n’y a pas de règles fixes dans la série. 
J’ai donc fait le choix de rester fidèle à celles posées par la traduction de Majora’s Mask, à savoir mettre une majuscule et accorder. Les exceptions sont :

  • les lutins, qui ne prennent pas de majuscule dans le jeu original. Après tout, lutin est un mot français commun, donc ça se comprend. 
  • les Minish, qui ne s’accordent pas en nombre. Minishs ou Minishes, esthétiquement, ça ne me revenait vraiment pas, et aucun jeu de la licence n’avait l’air de l’écrire comme ça.

Vertus

Courage, Sagesse et Force, ce sont les Vertus symboliques de la série Zelda. J’étais moralement obligé de garder leurs noms intacts. Les changer aurait été – malheureusement – une hérésie. Et si je dis « malheureusement », c’est parce que j’aurais aimé pouvoir modifier cette terminologie qui, pour moi, dessert le jeu. 

Déjà, avec la définition que je fais de la Vertu en tant qu’alignement, il est plus juste d’employer les termes Ambition, Raison et Instinct que Courage, Sagesse et Force. Ces mots évoquent tout simplement mieux ce que les Vertus sont dans le JDR.

Typiquement, si j’explique que fuir devant ce qui nous fait peur est un comportement basé sur l’Instinct, personne ne bronche. Par contre, si je dis que c’est un comportement basé sur la Force, là, tout de suite, ça donne ce genre de réaction :

Et pour rester sur la Force, vous savez quelle est la traduction officielle anglophone de cette Vertu ?
C’est Power, qui en bon français veut dire Puissance. 
Or, dans Carnival of Time, la Puissance est un attribut qui, pour un individu, sert notamment à mesurer la… eh bien la force, justement. Mais la force physique, hin. Rien à voir avec la vertu du même nom…

Bref, c’est un beau bordel.
J’aurais aimé ne pas subir cette nomenclature héritée. Mais je me rassure comme je peux, en me disant que si un jour les ayant droits me demandent de dé-zelda-ïfier ce JDR, au moins ce sera l’occasion de renommer les Vertus !