On n’imagine pas un bouquin de jeu de rôle sans image. Les manuels de Carnival of Time ont tous vocation à être illustrés ; c’est une évidence. 
La question, c’est : comment ?

Je n’ai pas l’intention de collaborer avec un artiste pour arriver à mes fins. 
C’est pourquoi, depuis un bon moment, je travaille à mettre en place une routine qui me permettra de produire moi-même toutes les images nécessaires. Et comme je commence à arriver à une réponse satisfaisante, il est grand temps de faire le point avec vous. 

Problématique 

Juste pour Rules of Wisdom, le premier manuel, le nombre d’images à produire se chiffre autour des 80. Et mon objectif, c’est d’abattre ça avant la fin de l’année, pour commencer à illustrer les manuels suivants en 2024.
Si, pour simplifier, on admet que je commence à produire en Mai, il va me falloir un rendement de 10 images par mois. Et ça, c’est en continuant d’écrire Tales of Courage, de maintenir le site web et le bot Discord à jour, d’effectuer mon vrai travail, de faire du JDR, – bref –  de vivre ma vie. 

Pour qu’un truc pareil soit réalisable avec une qualité acceptable, il est nécessaire d’avoir un plan en béton armé. Heureusement, j’ai préparé mon coup en avance… 

Level up

L’année dernière, j’avais déjà en tête cet objectif. J’ai donc consacré tout 2022 à monter mon niveau en dessin. Vous la connaissez, cette ellipse narrative pendant laquelle les héros s’entraînent afin de devenir plus forts ? 
Eh bien on était en plein dedans. 

Je ne partais pas de nulle part, évidemment. Étant quelqu’un qui dessine pour s’amuser depuis la petite enfance, je me débrouillais déjà un peu.  Mais tout de même, je n’avais pas la technique pour accoucher d’illustrations qui m’auraient rendu fiers. Il fallait que je passe un cap.

Mon entraînement est passé par des formations en ligne, dont plusieurs mois d’étude d’anatomie, lors desquels j’ai fait le tour des os et des muscles les plus importants du corps humain. 
Je pensais que ça allait être barbant, mais finalement, j’ai accroché. Et sur ce sujet, je ne saurais que trop conseiller les formations de Stan Prokopenko sur proko.com. C’est vraiment bien foutu.

Ci-dessus 2 études d’anatomie que j’ai faites depuis photographies : un tracé de muscles à même la photo, et une reconstitution du corps depuis un squelette simplifié

J’ai aussi fait du dessin de modèle vivant : un passage obligé pour ceux qui vont en école d’art, et un accélérateur de progrès trop sous-estimé. Encore maintenant, ça m’aide pas mal à retirer le balais que mes personnages ont parfois dans le derrière, pour obtenir des rendus plus dynamiques et vivants. 

La région parisienne est plutôt bien indiquée pour tout ce qui est événement artistique. Donc je n’ai pas eu de mal à trouver des associations ou groupes meetup qui acceptent des débutants et sont disponibles aux horaires qui m’arrangent. 

Ça, c’est typiquement ce que je ponds après une session de 2 heures. Ici, les poses allaient de 2 minutes à 25 minutes. Merci à @angelo_lewis_modele d’avoir posé !

Il y a également eu de l’investissement dans du meilleur matos, histoire d’expérimenter dans de bonnes conditions. La photo suivante parle d’elle-même, je pense.

Et au bout du compte, oui, je suis un meilleur artiste aujourd’hui qu’il y a un an. De loin.  Je ne suis toujours pas un as, mais pour Carnival of Time, ça suffira. Je m’en contenterai.

Trouver le bon format

Le but du jeu, maintenant, c’est de trouver le compromis temps/qualité qui va me permettre de tenir 10 illustrations pas trop dégueulasses par mois. Et c’est là que j’ai vraiment déchanté.

Pour la faire courte, il me faut 10 à 30 heures pour donner tout ce que j’ai dans une illustration et pondre le truc léché qui n’aurait pas trop à rougir de la comparaison avec un artwork Zelda officiel. C’est évidemment trop. 
Donc pour Carnival of Time, il faut – pour la première fois depuis le début du projet – que je fasse moins bien que ce dont je suis capable. C’est du sacrifice de qualité sur l’autel de la faisabilité, et ça fait mal à l’ego.

Mais une fois la crise existentielle passée, je me suis fait une raison, et j’ai cherché une méthode de production qui me permette d’obtenir des rendus :

  • en moins de 4 heures en moyenne. 
  • qui passent aussi bien sur fond noir que blanc (pour rappel mes manuels supportent plusieurs thèmes de couleur
  • qui n’augmenteront pas démesurément le poids du pdf final.

Pour assurer le troisième point, je vais travailler en résolution 150p, ce qui est 2 fois plus bas que le standard conseillé pour l’impression. Eh oui, la version numérique des manuels passe en prio. Tant pis pour ma version papier.

In fine, je m’attends à ce que le pdf pèse autour de 200 Mo, ce qui est acceptable, de nos jours.  Pour référence, actuellement, le pdf pèse 3 Mo.

D’après mes tests, j’aurais pu diviser ce poids par 4, sans perte de qualité, en utilisant des fichiers .webp. Malheureusement, LaTeX ne supporte pas ce format, donc je peux aller me faire cuire un œuf avec mes .png.

Pour le deuxième point, la solution est vite vue. 
En m’inspirant des artworks officiels de Breath of the Wild (exemple ci-dessous), je vais poser tous mes personnages sur des fonds en coups de pinceau, plutôt que sur un fond purement transparent. Ça me donnera un cadre consistant dans lequel je pourrai harmoniser les valeurs, peu importe si la page en-dessous est claire ou sombre.

Le vrai souci se résume donc vraiment au temps de réalisation. Rien d’autre.

Pendant un moment, j’ai cru que la solution, ça allait être le quick painting. D’une part, ça permet d’établir une ambiance assez rapidement, et d’autre part, c’est propice au mélange de zones extrêmement brouillonnes avec d’autres beaucoup plus détaillées.

Typiquement, la Gerudo à gauche, plus bas, a un bras droit ultra-brouillon. Mais ce dernier fusionne bien avec le reste de l’image et, donc, ne choque pas plus que ça.  Avec ce style, il me suffit de passer du temps à soigner les zones éclairées où je souhaite guider l’œil du spectateur (ici la tête, les abdos, les quadriceps) et en théorie, c’est plié.

Seulement voilà, même ça, ça me prenait trop de temps, et ça ne me plaisait pas, par dessus le marché. Finalement, je me suis inspiré de mon expérience en dessin traditionnel pour trouver une meilleure recette, qui donne plutôt le rendu que vous voyez à droite.

La recette Carnival Of Time

D’abord je fais un croquis rapide pour choper la pose. 

Ensuite, je ne m’embête pas à créer un nouveau calque, baisser l’opacité ou je ne sais pas quoi. Non. 
Je fais exactement comme quand je dessine contre la montre en face d’un modèle : je floute le trait sans l’effacer. Sur papier, il s’agit de passer son doigt sur le graphite. Sur tablette, j’ai juste à utiliser le dos de mon stylet. C’est immédiat.

Puis je redessine par-dessus avec plus de précision.
Les parties floutées, en plus de guider le trait et de donner un peu de cachet, peuvent servir d’ombres et donner du volume au dessin, pour pas cher. À la fin, j’obtiens un croquis qui peut ressembler à du dessin traditionnel, à ceci près que le trait est quand même très noir et très épais :

Ensuite, sur un deuxième calque, je fais le background coloré à grands coups de pinceau…

Et sur un troisième calque, je prends un pinceau blanc, et je mets de la lumière. C’est le moment où le dessin gagne en volume, et où j’arrive à le faire ressortir sur fond noir. 

Il est maintenant temps d’apporter quelques touches de couleur, sur un quatrième et dernier calque. Vraiment pas grand chose. Juste de quoi donner le ton, en même pas 5 minutes.

Là, je me rends compte que le bras droit du Goron qui tient la stèle devrait avoir son biceps orienté davantage vers l’intérieur, et un triceps plus visible. Aussi, les lignes de vitesse sur le Goron qui roule étaient une fausse bonne idée. Il rendra mieux dessiné classiquement. 
Est-il trop tard pour appliquer ces corrections ? Pas du tout. 
Vu la simplicité du process, je peux changer le dessin même au dernier moment.

Ajoutons maintenant un peu de post process sur les couleurs. Ici, je ne cracherai pas sur davantage de contraste.

Et voilà ! C’est le produit fini, tout juste sorti du four.
Temps de cuisson : 3 heures tout compris, avec l’idéation et les retouches.

Quand je suis en grande forme, c’est une affaire de 2 heures. Mais si je traîne et que je m’y reprends à plusieurs fois, on peut tabler sur 4 ou 5 heures. 
En tout cas, c’est plutôt rapide, et ça a assez de gueule pour l’usage que j’en ai.

Organisation

J’ai commencé à produire officiellement il y a 1 semaine, et j’ai déjà pondu 5 visuels utilisables pour la section Création de personnage. C’est donc la moitié du quota de Mai, déjà. 
Autrement dit, le rythme est supportable ! J’aurai même le temps de dessiner d’autres trucs qui me font plaisir, et notamment des choses plus longues et plus poussées. On ne va pas se mentir : c’était aussi un de mes objectifs.

Le pdf de Rules of Wisdom ne sera mis à jour qu’à des moments clé, typiquement après avoir fini d’illustrer un chapitre. Mais si vous voulez avoir des nouvelles plus régulières de mes avancées artistiques, toutes les illustrations pour Carnival of Time ou presque seront publiées sur mon compte instagram tout neuf @artofnui
Pour l’instant il est grave vide, mais il date d’il y a une semaine, même pas, et je n’ai pas encore fait mon réseautage.

En tout cas, maintenant que je suis sur des rails côté art, c’est l’écriture qui va reprendre à plein régime.
Attendez-vous à du mouvement dans les semaines à venir !